Pour le SMIC, à bas la PPE ! :Liêm Hoang-Ngoc est Maître de conférence à l'Université Paris I

Publié le par psinfo


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Thomas Piketty fait figure aux yeux du grand public d’économiste hétérodoxe, pour avoir montré que l’impôt n’était pas l’ennemi de la croissance. Pendant l’âge d’or de l’Etat social, l’IR a en effet empêché la concentration du revenu et permis d’euthanasier provisoirement la classe des rentiers, héritière de la fin du siècle de Balzac et de Zola. Le grand public connaît moins les recommandations de Monsieur Piketty en matière d’emploi. Celles-ci ne dérogent en rien aux canons de la pensée unique. Dans sa chronique publiée lundi 23 octobre dans Libération, il attaquait violemment la proposition d’une augmentation significative du SMIC contenue dans le projet du Parti socialiste, tout en défendant la Prime pour l’emploi que le même projet propose implicitement de supprimer.

La ritournelle récitée à l’encontre de la hausse des bas salaires est désormais connue. Pour les tenants de la pensée unique, le chômage structurel est assurément dû à un problème de « coût du travail non-qualifié » excessif. En raison des mécanismes d’indexation du salaire minimum, les entreprises qui désirent embaucher les chômeurs en sont empêchées. Il faut donc réduire le coût du travail non-qualifié, sans pour autant supprimer le SMIC car cela s’avèrerait impopulaire. La solution passe alors par la modération des hausses de SMIC et par de multiples exonérations de « charges » sur les bas salaires qui coûtent plus de 20 milliards par an au budget de l’Etat. Leur effet sur l’emploi est pourtant négligeable, comme l’a constaté un récent rapport de la cour des comptes, tandis que s’installent trappes à bas salaires et à faibles qualifications !

Au cours de ces 25 dernières années, les deux phases au cours desquelles l’emploi a significativement repris furent 1988-91, lorsque le contre-choc pétrolier améliora le pouvoir d’achat des ménages et les trésoreries des entreprises, et 1998-2001, lorsque la BCE desserra exceptionnellement sa politique monétaire. Ces deux phases sont celles où le taux de croissance de l’économie avoisina son taux potentiel, de l’ordre de 3 %. Entre 1998 et 2001, sur les deux millions et demi d’emplois créés, les « baisses de charges » expliquent la création de moins de 200 000 emplois, bien moins que la réduction du temps de travail (300 000 emplois) et la reprise de la croissance (2 millions d’emplois). Un nombre croissant d’économistes ne cessent désormais de dénoncer les méfaits de la poursuite de la modération salariale. Les profits d’hier n’ont aucunement été les investissements d’aujourd’hui. Au contraire, la hausse des salaires est susceptible de soutenir la consommation et l’investissement, sans quoi le niveau même des profits pourrait à terme s’étioler.

En bons croyants, nos experts continuent pourtant à prêcher baisse du coût du travail et autres réformes structurelles qui se sont déjà essayées à défaire le droit du travail. Conscients de la grogne populaire, certains inventèrent en 2000, dans la foulée du rapport Pisani-Ferry, la prime pour l’emploi comme moyen de redistribuer du pouvoir d’achat aux classes laborieuses sans que cela ne se traduise par une augmentation du coût du travail supporté par les entreprises. Mesure en apparence « sociale », la PPE est une disposition néo-libérale instaurée en contrepartie de la fiscalité avantageuse sur les stock-options et des baisses d’impôts octroyées à l’époque aux classes aisées. Elle est l’embryon d’un « impôt négatif » accordée aux travailleurs pauvres dans le cadre des politiques de discrimination positive. Elle n’apporte aucun supplément de revenu aux chômeurs, culpabilisés de refuser des emplois que les entreprises pilotées par les nouveaux actionnaires sont désormais incapables de créer. Applaudie et mensualisée par la droite, la PPE assoit la flexibilité des bas salaires, que les entreprises peuvent désormais se passer d’augmenter. Conformément à la théorie du chômage volontaire, le terme même de prime pour l’emploi sous-entend surtout que les chômeurs font le choix de ne pas travailler. Si l’on n’y prend garde, ce type d’impôt négatif pourrait menacer le système d’indemnisation chômage, dès lors qu’il est admis que la PPE incite à tous ceux qui le désirent d’obtenir un emploi… Ce que laisse présager la baisse de la durée et du montant des allocations chômage, recherchée par le MEDEF dans les négociations de la convention UNEDIC.

Dans un nouveau rapport, portant sur l’efficacité et la gestion de la prime pour l’emploi, la cour des comptes livrait un verdict sans appel : « L’efficacité du dispositif apparaît limité au regard de chacun de ses deux objectifs : la prime semble n’avoir qu’un faible impact sur l’offre de travail et l’emploi et n’améliore que marginalement le revenu de ses bénéficiaires. »

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